Comme vous le savez, nous approchons du terme de l’année sainte, au cours de laquelle l’Église catholique s’est tournée intensément vers le cœur du message chrétien dans la perspective de la miséricorde. En effet, celle-ci est pour nous révélatrice du nom de Dieu, elle est « le pilier qui soutient la vie de l’Église » (Misericordiae vultus, n. 10) et elle est la clé pour accéder au mystère même de l’homme, qui a aujourd’hui encore tellement besoin de pardon et de paix.
(…) Le thème de la miséricorde est familier à de nombreuses traditions religieuses et culturelles, où la compassion et la non-violence sont essentielles et indiquent la voie de la vie : « Le rigide et le dur appartiennent à la mort ; le mou et le tendre appartiennent à la vie », affirme un ancien proverbe de sagesse (Tao-Te-Ching, 76). Se pencher avec une tendresse pleine de compassion sur l’humanité faible et démunie appartient à une âme véritablement religieuse, qui repousse la tentation de dominer par la force, qui refuse de faire de la vie humaine une marchandise et voit dans les autres des frères, jamais des numéros. Se faire proches de ceux qui vivent des situations qui exigent une plus grande attention, comme la maladie, le handicap, la pauvreté, l’injustice, les conséquences des conflits et des migrations, est un appel qui vient du cœur de toute tradition authentiquement religieuse. C’est l’écho de la voix divine qui parle à la conscience de chacun, en invitant à surmonter le repli sur soi et à s’ouvrir : s’ouvrir à l’Autre au-dessus de nous, qui frappe à la porte du cœur ; s’ouvrir à l’autre à côté de nous, qui frappe à la porte de notre maison, demandant de l’attention et de l’aide.
La signification du terme « miséricorde » nous appelle à avoir un cœur ouvert et plein de compassion. Dans son étymologie en langue latine, il évoque un cœur sensible aux misères et surtout au miséreux, un cœur qui vainc l’indifférence parce qu’il se laisse toucher par la souffrance d’autrui. Dans les langues sémitiques, comme l’arabe et l’hébreux, la racine r(a)h(a)m, qui exprime aussi la miséricorde divine, rappelle le sein maternel, les entrailles des liens d’affection les plus intimes de l’être humain, les sentiments de la mère pour son enfant auquel elle est sur le point de donner le jour.
À ce propos, le prophète Isaïe transmet un message magnifique, qui est à la fois une promesse d’amour et une sorte de défi de la part de Dieu à l’égard de l’homme : Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi, je ne t’oublierai pas (Is 49, 15). L’homme — il est triste de le constater — oublie trop souvent, « si s-corda » comme l’indique le verbe italien : son cœur s’éloigne. Il tient à distance Dieu, le prochain, mais aussi la mémoire du passé et il répète ainsi, même sous une forme plus atroce, les erreurs tragiques commises en d’autres temps.
C’est le drame du mal, des abîmes obscurs dans lesquels notre liberté peut plonger, tentée par le mal, qui est toujours aux aguets, en silence, pour nous frapper et nous faire couler. (…) Dans un monde agité et ayant peu de mémoire, qui est toujours pressé et laisse derrière lui de nombreuses personnes sans se rendre compte qu’il est essoufflé et sans but, nous avons aujourd’hui besoin, comme de l’oxygène, de cet amour gratuit qui renouvelle la vie. L’homme a soif de miséricorde et il n’y a pas de technologie qui puisse le désaltérer : il cherche une affection qui aille au-delà des consolations temporaires, un port sûr où puisse aborder son navire agité, une étreinte infinie qui pardonne et réconcilie.
(…) Que cette voie soit notre voie maîtresse ; que soient rejetés les chemins sans but de l’opposition et de la fermeture. Qu’il n’arrive plus que les religions, à cause du comportement de certains de leurs disciples, transmettent un message qui sonne faux, en désaccord avec celui de la miséricorde. Malheureusement, il ne se passe pas de jour sans que l’on n’entende parler de violences, de conflits, d’enlèvements, d’attaques terroristes, de victimes et de destructions. Et il est terrible que, pour justifier de telles barbaries, le nom d’une religion ou de Dieu lui-même soit parfois invoqué. Que soient condamnés de façon claire ces comportements iniques qui profanent le nom de Dieu et qui polluent la recherche religieuse de l’homme. Que soient au contraire favorisées, partout, la rencontre pacifique entre les croyants et une réelle liberté religieuse. En cela, notre responsabilité devant Dieu, l’humanité et l’avenir est grande et exige tous nos efforts, sincèrement. C’est un appel qui nous concerne, un chemin à parcourir ensemble pour le bien de tous, avec espérance. Que les religions soient des seins de vie, qui portent la tendresse miséricordieuse de Dieu à l’humanité blessée et dans le besoin ; qu’elles soient des portes d’espérance qui aident à franchir les murs érigés par l’orgueil et par la peur.
Audience interreligieuse, Salle Clémentine, le 3 novembre 2016